Hélène et Thomas Chassaing fr / en

Quel avenir pour le monde rural en Afrique de l’Ouest ?

L’histoire

En 2007 et 2008, j'ai réalisé dans toute l'Espagne une série de reportages sur la relation entre agriculture intensive et immigrations (européenne, maghrébine, subsaharienne et même sud-américaine). Et en mars 2009, je suis parti 3 mois aux USA pour poursuivre ce travail (lien entre agriculture intensive et immigration, sud-américaine cette fois-ci), en plus de documenter l’effet de la crise financière et économique (crise des subprimes) qui s’abat sur le pays.

Pour tenter d'aller un peu plus loin, début 2010 j'ai dévoré rapports et livres de vulgarisation agronomique qui m'ont passionné et renvoyé, chaque fois qu'il était question du continent africain, au témoignage d'un ami sénégalais que j'avais malheureusement vu vivre dans des conditions tout à fait indignes alors qu'il cherchait du travail dans des champs de fraises andalous.

"Tu sais, Thomas, j'ai des terres chez moi. Si j'ai quitté ma femme et mes enfants et que je suis ici maintenant, c'est pour gagner de quoi acheter un tracteur, même d'occasion, et rentrer au pays. On ne peut pas continuer à travailler la terre comme nos parents, c'est plus possible".

C'est avec cela en tête que je me suis envolé au printemps 2010 en direction du Sénégal, mon fidèle vélo comme d'habitude dans la soute. Et pendant 8 mois à peu près je roulerai sur plus de 7 000 km, de Dakar (Sénégal) à Ouagadougou (Burkina Faso). Cela m’a permis, entre autres choses de documenter une saison agricole complète, de la préparation des sols avant les semis aux fêtes des récoltes dans les villages.

Dix ans plus tard (déjà !) quand pour les besoins de la création de ce site internet il me faut écrire ce petit texte de présentation, je vois deux solutions pour m’en sortir. Soit reprendre le journal que j’ai tenu au jour le jour sur des cahiers d’écolier et détailler sans se soucier de la longueur. Soit écrire très vite, d’une traite ! ce dont je me souvenais facilement et qui pourrait être utile (à une personne qui visionnera le corpus d’images proposées sur ce site) pour appréhender le contexte des prises de vue.

Donc ce soir je me souviens--en bon petit Français malheureusement--des râleries et des complications en premier ! En effet les premiers jours de route furent assez difficiles. Sortir de Dakar à vélo avec une pédale qui ne fait que tomber est quand même une expérience à vivre ! Chaleur écrasante, vol de mes papiers par un pickpocket à Saint Louis, altercation avec une petite frappe (ayant vécu en Italie) et ses sbires pour des photos banales prises dans les champs, etc. Ce qui fait qu’au début je me suis parfois demandé si j’arriverai jamais un jour à destination.

Aussi j’eu à subir des problèmes d’ordre technique qui ne me facilitèrent pas la vie ! D’abord des aberrations chromatiques dues à un objectif grand angle pas tout à fait adapté à mon tout premier appareil photo numérique qui m’avait coûté un bras à l’achat (mais pas les deux car j’avais dû faire un emprunt). Puis, dès les premières pluies qui tombèrent au Nord Sénégal, ce satané achat se mit à ne plus vouloir déclencher à la pression de mon index, ce qui fait que je dus travailler par la suite en mode retardateur. Donc j’appuyais et il fallait attendre bien deux secondes avant que la photo se fasse. À mon retour, on m’a expliqué que le boîtier s’était oxydé et que la célèbre marque (même si le matériel était encore sous garantie) ne pouvait pas y faire grand-chose. Comme il n’était pas dit qu’il était « tropicalisé », elle ne pouvait que me proposer une petite réduction si j’en achetais un autre…

Puis aussi, au Mali, un infirmier de brousse à bousillé le chargeur de batterie de l’appareil photo en même temps que celui du petit ordinateur portable qui me servait à stocker les photos en oubliant de brancher le stabilisateur de courant avant d'allumer son groupe électrogène. Le problème du chargeur de batterie du boîtier photo fut résolu dans le village même grâce à une soudure, faite par un bricoleur doué avec un fer à repasser antédiluvien (qui demande d’abord d’allumer un feu afin de chauffer le fer avec de la braise). Mais pour le chargeur de l’ordi il n’y a pas eu moyen. Alors a commencé la galère pour s’en faire envoyer un autre de France…

Au Mali, j’ai aussi eu quelques soucis en termes de sécurité qui m’interdirent de rester très longtemps à Nioro du Sahel pour documenter un programme agricole. Sur les conseils de la population, j’y demeurai seulement un jour avant de repartir à Diema, où là plus tard un camping-cariste se fit enlever et -toujours pas libéré- perdit la vie malheureusement moins de deux ans après. Passé Bamako, je pensais rouler vers les rizières dans le delta du Niger et surtout aller dans le pays Dogon où m’attendaient des contacts rencontrés en chemin, mais je dus y renoncer et j’entrai au Burkina-Faso par le sud (Sikasso).

À déclarer enfin, au moment tant attendu des récoltes, le palu de compétition que je fis au Burkina Faso, et qui me cloua bien trois semaines à Koudougou. C’est là que mon petit effort de mémoire bascule enfin ! dans des souvenirs plus positifs qui sont légion. Car, durant ma crise de paludisme, j’ai pu vérifier que l’expression « On est ensemble », que l’on m’avait souvent servie et dont je doutais parfois à force de l’entendre, avait une réalité.

Je me souviendrai toujours de la réaction de Valentin qui s’occupait d’une miellerie que j’avais visitée, et qui m’avait gentiment proposé l’ancien local de la petite bibliothèque (du centre culturel de l’association), le temps que je documente un peu la structure. Quand je suis tombé malade, il a refusé catégoriquement que j’aille dans une auberge pour ne pas les embêter et a veillé sur moi discrètement, avec l’aide de la voisine « Madame Nana » qui me préparait tous les soirs des choses très simples (comme de la bouillie de mil) que je pouvais ingérer.

Petit extrait du journal que j’ai quand même fini par ouvrir, aux pages de Koudougou :

« Vendredi 3 décembre 2010, Koudougou

Même train-train paludéen. Cela va faire maintenant deux semaines que je zone et les gens du quartier se sont habitués à moi. Je n'ai plus droit au “le Blanc, donne-moi !” Je crois qu'ils ont compris ce qui m'arrive et se montrent prévenants à bien des égards. Par exemple, chaque fois que je me pointe au forage avec mon bidon de 20 litres, des gosses se précipitent maintenant pour me le prendre des mains, et toujours une des personnes présentes pompe l'eau pour moi. Depuis le début du voyage on m'a souvent rebattu les oreilles avec la “solidarité africaine” et je peux témoigner, en pensant à Valentin, Madame Nana, les boutiquiers, les gardiens du centre, qu'elle peut exister.

Hier Paul et Sabine, qui s'occupent du conditionnement du miel, m’ont dit que des gens du quartier avaient demandé (le plus sérieusement du monde m'assurent-ils) « si Jésus était venu vivre avec eux, dans le quartier 5 de Koudougou ? » Et Sabine que je ne soupçonnais pas être une zélée de Dieu insiste lourdement pour que je les bénisse sur le champ. Peut-être qu'avec mon look de barbu chevelu maigrelet je pourrais faire carrière ici, lancer une nouvelle église ? Moi je me vois parfois plutôt comme un hobo intermittent, un cyclo-vagabond photographe, roulant sur la queue de la comète beat, mais allez leur expliquer cela. »

Au-delà de ce moment un peu extrême, je peux (pardonnez-moi pour la banalité) parler de l’accueil que « Mr Thomas » (comme on m’appelait souvent dans les villages) a reçu. Trouver un endroit pour passer la nuit n’a jamais été un stress durant ce périple. Et je repense à toutes ces heures à discuter à bâtons rompus avec mes hôtes d’un soir, de toutes ces personnes qui m’ont proposé de m’accompagner gentiment, parfois des jours entiers dans mes balades à pied ou à vélo afin de continuer les discussions ou simplement passer plus de temps ensemble.

Petite anecdote que je raconte parfois pour dire que l’hospitalité pouvait être de l’ordre de l’extraordinaire. Un employé de Mairie à qui je demandais en fin de journée de vélo où je pourrais poser ma tente pour la nuit me fit cette réponse : « Ben ici même ! On dit bien "Hôtel de Ville" non ? » Et nous voilà, après une rapide visite au domicile du maire (et avant d’aller manger chez mon nouvel ami avec qui je suis toujours en contact depuis), en train de gonfler mon petit matelas de voyage et d’installer la moustiquaire à l’aide de chaises dans le bureau assez pompeux de l’édile. « En fait tu es un peu comme mes ancêtres, qui partaient comme ça avec presque rien à la Mecque ! »

Beaucoup de choses de ce genre sont consignées dans « mes tablettes » (journal de bord) et peut-être qu’un jour lointain, si on vit vieux ! et que l’envie est toujours là, on en fera quelque chose ! (Ça c’est du teasing qui commence tôt ou je ne m’y connais pas !)

Enfin, si je me souviens de toute la bonne humeur et de l’énergie reçues lors des étapes, je me rappelle aussi la grosse grosse fatigue à mon retour en bus chez notre ami Yvot, à Dakar, où j’attends la date de mon vol pour la France. Après coup, j’ai compris que voir jour après jour des personnes souvent obligées de « bricoler », « de faire un peu un peu », empêchées dans leur destin (même si souvent elles ne s’étalaient pas sur ces sujets) m’avait bien usé.

Maintenant quand je regarde les photos avec du recul, en dehors du fait que le travail de chromie réalisé à l’époque est à pleurer (ce qui j’en conviens n’est qu’un détail, car cela ne tient qu’à nous de reprendre les fichiers bruts pour faire plus honneur aux gens et aux paysages ou de les confier à un bon professionnel si jamais un jour on gagne au loto !), je me dis que c’est un privilège d’avoir pu faire ce voyage avec cette grande liberté de mouvement (hormis au nord Mali comme je l’ai évoqué plus haut) et je suis effondré chaque fois qu’on parle du terrorisme au Burkina Faso, au Mali et des problèmes économiques dans lesquels sont plongés une grande partie de la population.

En continuant à m’intéresser aux problématiques traitées dans les sujets, je vois que rien ou presque n’a été fait et que la situation à mon sens a même empiré. Les contacts que je peux avoir gardés avec des personnes de ces pays ou lors de rencontres et de réunions durant les COP ne me détrompent pas souvent malheureusement. Que les pays industrialisés commencent à donner (1) ce à quoi ils se sont engagés, depuis la COP15 à Copenhague en 2009 (2), pour aider ces pays à s’adapter aux effets du changement climatique, car ils sont en première ligne comme on dit de nos jours. Même si cela ne résoudra pas tout ce serait déjà un premier pas.

(1) https://unfccc.int/fr/news/mme-espinosa-exhorte-les-pays-a-tenir-leur-promesse-de-100-milliards-de-dollars-us
(2 ) https://www.economie.gouv.fr/mobiliser-100-milliards-de-dollars-par-dici-2020

(Liens consultés le 18 juin 2021)


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